Page:Europe (revue mensuelle), n° 123, 03-1933.djvu/105

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Mikhaïl à s’endormir tout de suite. Adrien ne put le faire que bien plus tard. Le paillasson lui enfonçait les côtes, le piquait. Partout des bosses, des trous, de la paille agaçante. Point d’oreiller.

Il pensait aux autres, qui se contentaient de bien moins que lui. Ils couchaient habillés, blottis sous un vieux paletot, la tête sur un paquet de linge sale ou sur le pantalon roulé, Et ce banc de bois, étroit, dur ! Quelle vie ! Il s’assoupit au milieu des sifflements lointains du gardien, le cerveau fatigué d’une foule de sensations disparates, le cœur gros de pressentiments tristes. Puis, sans savoir s’il avait dormi ni l’heure qu’il était, il se réveilla à moitié, les paupières lourdes, dans un bruit confus de voix chuchotantes, irréelles :

— … Hi ! hi ! hi !

— Est-ce qu’elle voulait décamper, elle aussi ?

— Pas du tout ! Elle se fichait pas mal de son mari. Seulement, Loutsa, dans son affolement et à cause de l’obscurité, avait déguerpi en emportant les effets de Constance également. Elles s’étaient déshabillées toutes deux dans le noir, jetant tout le fouillis sur la même table. Puis, lorsqu’on a frappé à la porte, « au nom de la loi », Loutsa et Viorel se sont sauvés par la fenêtre en un clin d’œil, les bras chargés de vêtements. Tantsi et moi, nous sommes restés tranquilles permettant à ces messieurs de faire leurs constatations. Dieu !… Quelle nuit mouvementée !…

— Oui, oui… Ça ne devait pas être drôle !… Et quel a été le résultat ?

— Eh bien, la fuite de ces deux-là n’a servi à rien, car Loutsa s’était trompée de pantoufles, laissant les siennes et prenant ceux de Tantsi. Son mari les a reconnues tout de suite. Il a même dit à Tantsi : « Vous êtes une belle truie, vous aussi, chère Madame Stanesco. »

— Une belle truie, qu’il a dit ?. Ho ! ho ! ho ! Elle n’a rien répondu ?

— Si !  : « Pas de remarques, Monsieur ! » Et comme le cocu emportait les souliers de sa femme, elle lui a lancé : « Veuillez dire à Madame votre épouse de me renvoyer les miens, et le reste ! Elle m’a laissée toute nue, ce qui n’est pas trop mal quand je suis à côté de mon mignon Gogou ! »