Page:Europe (revue mensuelle), n° 123, 03-1933.djvu/106

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— Ah ! Tu étais son mignon Gogou ! Eh bien, bouffe maintenant du pain sec et couche sur la planche, cher mignon Gogou ! C’est cette Tantsi qui a contribué le plus à notre ruine !

— Bo ! bo ! bo !

— Il n’y a pas de bo ! bo ! bo ! Souviens-toi : l’achat que tu lui as fait, après son divorce, de la maison de Pavelesco, nous a mis dans l’impossibilité d’honorer nos plus importantes créances. D’où la faillite.

— Oui-i-i ? Et où était ta cote, dans ces créances ? Disposais-tu, toi au moins, de ta cote ?

— Ma cote… ma cote !

— Oui, oui ! Ta cote ! Ne venais-tu pas d’engloutir plus de cinquante mille francs, pour sauver ton neveu de la prison ? Donc nous étions logés à la même enseigne : moi, avec ma Tantsi, toi, avec ton Lica !… Allons !… Ne me parle pas ?

Mikhaïl, réveillé par les mouvements qu’Adrien faisait en se retournant sans cesse sur un côté et sur l’autre, bougonna doucement :

— Je t’avais dit que pour vaincre l’insomnie, il faut compter du bout des lèvres jusqu’à la fatigue, ou bien conjuguer un des verbes français que je t’ai enseignés. Allons, dis après moi : je dors, tu dors, il dort…


IV


Des équipages somptueux — voiture, chevaux, cocher, — il y a trente ans, n’existaient au monde qu’en Russie et à Bucarest. Il n’est pas question des équipages de riches particuliers, qu’on peut voir dans tous les pays, mais bien de voitures publiques que n’importe qui, pour peu qu’il eût une mine et un maintien convenables, pouvait se payer, à l’heure ou à la journée.

La place du théâtre National, à Bucarest, offrait alors un spectacle de beauté pure, digne de l’existence humaine en dépit des cruautés qui constituent la rançon dont une partie de l’humanité paie toujours les réjouissances de l’autre partie. Cette place du Théâtre, pour ce qui était de ses édifices,