Page:Europe (revue mensuelle), n° 123, 03-1933.djvu/120

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tous les métiers, après les avoir gratifiés du premier roi de la nation.

On jugeait très sévèrement l’ouvrier qui, le lundi matin, n’était pas sur le chantier. Cette absence, en effet, caractérisait le pochard, qui buvait le dimanche toute sa paye de la semaine et ne pouvait pas se lever le lendemain matin. On l’excusait une fois, puis la récidive entraînait le renvoi. Adrien ne se faisait pas de mauvais sang pour le renvoi mais il ne voulait pas être classé dans la catégorie des pochards. Aussi toute sa joie était gâtée.

Car il avait connu une immense joie sensuelle, la plus complète de tout ce que sa fraîche expérience en amour comptait à cette date-là. Loutchia lui révélait une amoureuse exempte de tous les raffinements de la femme légère. Elle était honnête, sincère, jusqu’au fond de l’âme. Il en était séduit. Et quoique loin d’envisager toute possibilité de mariage, il convenait que Loutchia pouvait parfaitement être sa maîtresse. Il sera donc son amant, bien sincère. Ils ne se donneront l’un à l’autre que de l’amour. Il n’y avait là rien de malhonnête. Quant à la « situation », on la laissera de côté, d’autant plus que son amante avait son pain assuré. Et lui, qui ne l’avait pas, il ne lui demandera jamais rien. Il se débrouillera. S’il lui arrive un jour de tomber dans la misère, eh bien, elle n’en saura pas grand’chose. Il fera semblant de ne pas manquer du nécessaire. Voilà. Et sa vie sera ainsi plus belle que s’il devait végéter sans amour, les sens tourmentés en permanence. Cela non plus n’était pas une vie, de courir tous les samedis soirs, rue de la Croix-de-Pierre, acheter de l’amour pour un franc. Ignominie. Laideur.

Au moment de se séparer et alors qu’ils s’y attendaient le moins, une exigence de Loutchia les jeta l’un contre l’autre. Elle lui demanda de venir loger chez elle. Il lui déclara ne pas y songer. Nouvelles larmes qu’il effaça rapidement, lui promettant de venir coucher deux fois par semaine, le dimanche et le mercredi.

— Plus, c’est impossible ! Je risque de multiplier les absences comme celle d’aujourd’hui, malgré toute ma bonne volonté. Ce n’est pas à tort qu’on dit que la femme dort toujours sur un pan de la chemise de son homme qui, le