Page:Europe (revue mensuelle), n° 123, 03-1933.djvu/130

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quer nous sommes fichus ! En ce moment, mon apport est nul. Au cas où cela n’irait pas mieux, bientôt il faudra que tu me nourrisses. Aussi, ne recommence plus ton blau-montag d’aujourd’hui.

— Qu’as-tu mangé ces deux jours ?

— Du pain et du fromage. Et c’est ce que nous mangerons tous deux ce soir. Ce n’est pas un malheur. Pour toi surtout qui n’as pas seulement bien boulotté mais qui t’es encore régalé d’un article dont je manque plus que de pain.

— À propos : où en es-tu avec Tassia ?

— Pas loin de la convaincre. Pourvu que Cristin ne la convainque pas avant moi. Je les ai vus ce soir se faire des signes bien suspects. As-tu remarqué qu’ils ont disparu presque en même temps ? Mais il ne peut l’avoir que dans la chambrette du « Bureau », et alors je le saurai. S’il me joue le tour cette fois encore, je le prends à la gorge !


Ce fut une soirée plus triste que d’habitude. À dix heures, chacun des hôtes du « Bureau » sentait qu’en vain l’un attendait de l’autre une parole qui fournit un sujet de discussion propre à faire passer une partie de la nuit. Ils restaient là, alignés sur les bancs, le corps immobile, faces spectrales à cause de la lumière du réverbère qui éclairait un peu la pièce. Seul Nitza se levait de temps à autre, tournait en rond comme un fauve dans la cage, crachant et monologuant des imprécations inintelligibles, mais Léonard le pria poliment de mettre fin à son manège, disant que cela lui faisait mal à la tête. Aussi, quand l’horloge de l’hôpital Coltsea frappa onze heures, le « Bureau » avait pris sa physionomie d’asile de nuit, chaque dormeur allongé sous sa couverture ou son paletot, à sa place habituelle : Nitza et Macovei tout au fond ; Léonard, à droite, sous la fenêtre de la pièce à Cristin ; et Adrien et Mikhaïl sur leur paillasson au pied du secrétaire. Le dernier murmure avant le sommeil leur fut arraché par le pauvre « Méphisto » qui vint asséner au réverbère son coup de canne quotidien et crier un long et sinistre :

— Pa-ri-i-is !

Pour disparaître aussitôt.

Croyant que le fou allait les embêter, Nitza leva la tête,