Page:Europe (revue mensuelle), n° 123, 03-1933.djvu/133

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qué que sa constitution physique, robuste jusqu’à cette époque, déclina promptement et fit de lui un garçon maigriot, presque chétif, après qu’il eut contracté la malfaisante habitude. Il s’en débarrassa à temps, avec une énergie qu’il ne put apprécier que bien plus tard, grâce à un livre d’éducation sexuelle qui lui dévoila les terribles dangers auxquels il se serait exposé s’il eût continué. Mais ce même livre qui, l’arrachant au vice, devait aussitôt le mettre dans la voie naturelle, le dégoûta et l’épouvanta en lui décrivant, à l’aide aussi de force illustrations, les nombreuses et presque incurables maladies dont cette voie était à chaque pas semée pour l’adolescent. C’est ce qui lui fit attendre jusqu’au seuil de ses dix-neuf ans pour connaître la femme, dans la personne de la belle servante hongroise de la maison Thuringer. Et dès ce jour il fut un jeune homme sain, normal. Il savait qu’il avait besoin de femmes, comme il avait besoin de pain, d’air et de liberté. Il ne pouvait certes pas en avoir comme il le voulait, mais ce n’était pas une raison, se disait-il, pour se dédommager en en revenant à ce vice de l’adolescence, qu’il avait presque oublié.

Aussi ne comprenait-il pas Nitza :

« Diable ! Dans toute la masse de femelles auxquelles il se frotte journellement dans ce « Bureau » n’en trouve-t-il « pas une qui veuille de lui ? Pourtant il est beau garçon. »

Mais il se souvint que le pauvre Nitza était dans un dénuement trop criant pour oser aborder une femme :

« Voilà ce qui m’attend si, un jour, je tombe dans une misère pareille à la sienne ! Mikhaïl à raison : je dois tenir fermement, tenir ! Pas de bêtises ! »

Cependant il savait bien ce que cela voulait dire : tenir ! Des humiliations sans fin qu’il fallait avaler tête basse. Un travail pénible et mal rétribué, pendant lequel on ne vivait que pour le patron. Un cafard quotidien, d’immenses désirs de liberté, de flâneries, qu’il fallait vaincre brutalement. Une société abominable de compagnons, dont la conversation rasante, la mentalité impossible, les intrigues agressives lui répugnaient plus que tout le reste. Non ! Avec cette humanité-là, il n’avait de commun que la chaîne de l’esclavage. C’était tout, tout ! Tenir ! Comment ? Il était bon, ce Mikhaïl !

Le sommeil l’avait quitté. Dans le cadre sinistre de ce