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Page:Europe (revue mensuelle), n° 124, 04-1933.djvu/102

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brasier permanent. Pas un nuage. Pas la moindre brise. La réverbération du pavé et des maisons blanches, unie à l’immobilité de l’air, rendait la respiration impossible dans la rue. Des terrassiers, des portefaix et des travailleurs du bâtiment s’évanouissaient à chaque pas. Tout le monde circulait moitié nu. Les chemises, les corsages, les jupes collaient sur les corps inondés. À midi, à la sortie du travail, et, entre une et deux heures, à la reprise, les chevaux des trams surchargés tombaient comme des mouches frappées en tas. Jusqu’à ce qu’on relevât les bêtes, les wagons stationnaient en plein soleil, pendant de longues minutes, tandis qu’à l’intérieur les gens, entassés comme des sardines, étouffaient, et les hommes se plaignaient à haute voix que les femmes « sentaient trop fort ».

Partout, du papier bleu bouchait les fenêtres.

Adrien essaya encore deux ou trois fois de travailler aux façades, mais il s’avoua vaincu. Après une journée de peine, parfois après quelques heures seulement, Mikhaïl le voyait apparaître, las, épuisé, triste. Il le recevait toujours fraternellement :

— Ça ne va pas, hé ? Tant pis ! N’insiste plus. Nous ne mourrons pas de faim. Prends, toi aussi, dans ce tas de servantes et tâche d’en placer. Parfois, ça colle. N’en tirerais-tu que deux « taxes » par semaine, ce serait encore bien.

C’est ainsi qu’Adrien devint à son tour « agent ». Et c’est alors seulement qu’il parvint à comprendre le prix de la solidarité qui régnait dans ce « Bureau » qu’il avait tant maudit.

Les dix centimes, prix d’une miche de pain noir, ou, au pire, les cinq centimes, pour l’achat d’une demie, on les trouvait presque toujours dans la poche la plus misérable, même dans celle de père Floréa, le petit vieux rapiat qui, ses yeux de crapaud hors de la tête, écumant, se défendait comme un diable et ne sacrifiait le sou qu’à force de se voir cerné et conspué de tous côtés. Parfois, la miche de pain ou rien que la demie, on l’obtenait également à crédit. Dans la même rue, quelques numéros plus haut, un mélancolique vieillard, le père Sandou, avait sa baraque en bois qui alimentait tout le voisinage. Il se méfiait de la vente à crédit, car,