Page:Europe (revue mensuelle), n° 124, 04-1933.djvu/115

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neutre de la levée générale. Il le faisait durer le temps de fumer une cigarette. Si par hasard tout le monde n’était pas debout lorsqu’il se retournait et allait occuper sa place au secrétaire, soulevant les pans de sa redingote d’un mouvement irréprochable et familier, il lançait, simplement, doucement, sans regarder :

— Allons… Levez-vous.

On décampait vivement, en emportant ses hardes et après un coup d’œil furtif vers l’homme qui était déjà installé pour douze heures. Il n’y bronchait plus de toute la journée. On était même étonné quand on le voyait quitter un moment son fauteuil pour se diriger avec gravité vers les latrines. Il arrivait alors parfois que Macovei se permît d’insinuer discrètement, en le touchant du coude, clignant de l’œil et chantonnant :

— At-ten-ti-on ! La belle Aglaïa est là !

Retour des cabinets, sachant qu’on avait bien ri, pendant son absence, de la blague de Macovei ; il traversait le « Bureau », muet, les yeux encore plus écarquillés que de coutume, comme pour dire : « Il ne me manquerait plus maintenant que de me masturber ! » Mais il n’eut jamais dit cela.

Les jours où Macovei était en veine d’« encaissements », le brave vieux se faisait une joie de payer, le matin, un café turc à tout le monde. Alors Léonard se cabrait comiquement, quoique content de voir son ancien associé s’installer près de lui, tendre, souriant, caressant d’une main la petite tasse, de l’autre sa barbiche bourrée de souvenirs :

— Hum…

Léonard le regardait une seconde :

« Hum, quoi ? » avait-il l’air de lui dire.

— Hum… Tu sais, Léonard ?

— Non, je ne sais rien.

— …Je me dis, certains jours, que… peut-être…

— Il n’y a pas de « peut-être ».

— …si tu avais voulu…

— Je ne pouvais rien vouloir.

— …Cela ne serait pas arrivé.

( « Cela », était leur faillite. D’autres fois, il l’appelait « la chose », ou bien « l’accident ».)