Page:Europe (revue mensuelle), n° 125, 05-1935.djvu/114

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quement pour la cuisine de l’office. Peu de viande et bien laide. On en acheta davantage et d’une qualité meilleure, ce qui étonna la vieille servante, femme de confiance, très ancienne dans la maison, taciturne, froide, passant son temps à épousseter l’appartement et à raccommoder ses nippes. Elle aidait encore à préparer les bains nocturnes ainsi qu’à habiller et à déshabiller M. Dumitrescu, qui, presque tous les jours, sortait en coupé faire des promenades dans les bois. Pour cette dernière besogne, les deux serviteurs n’étaient pas de trop, car les membres du malade, ankylosés, raides, tordus, avaient de la peine à entrer dans les vêtements, les chaussures, les gants. On mettait une heure avant d’en finir. Il souffrait, geignait, tempêtait. Appuyé sur sa canne, on le conduisait jusqu’à la voiture, le soutenant par les aisselles. C’était alors un pitoyable beau monsieur, tout vêtu de noir, funèbre, sa respectable barbe blanche déployée sur la poitrine, le regard sévère, le maintien rigide. Vu dans la fuite du coupé, on ne devinait pas son atroce infirmité.

C’était surtout au retour de ces promenades que, réinstallé dans son lit, le malheureux avait l’habitude d’agacer Adrien avec ses avances d’amour « filial ». Certes la personnalité du garçon imposait toujours à l’inverti et lui faisait adopter des formes, tant l’admirable force de l’âme humaine oblige au respect l’homme le plus dégradé. Hélas, la force du vice dépasse celle de l’âme et s’acharne à l’avilir.

Un jour, au moment où Adrien touchait le salaire de son premier mois de service et recevait un pourboire de dix francs, le vieillard l’empoigna des deux mains par le devant de son pantalon et lui cria :

— Laisse-moi voir ton « morceau » ! Laisse-moi l’embrasser !

Il y eut une scène pénible, écœurante. Adrien menaça de partir sans même donner ses huit jours. Depuis, tout se gâta. La vie dans la maison devint un enfer. Rien n’allait plus au goût du maître, qui frappait son domestique de furieux coups d’ongles, ne faisant de ses bras qu’une seule plaie. Si bien qu’un matin, exaspéré, lors d’un lavage, Adrien appliqua au vieux un coup de poing à la tête et, pour son malheur, s’exclama :