Page:Europe (revue mensuelle), n° 125, 05-1935.djvu/122

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pourquoi pas ? Il y a des douleurs qui sont pires que la mort. Enfin… Il a le revolver. On peut tirer, dès que cela ne va plus.

Pour le moment, il avait froid et voulait boire du thé. Autour de lui, des enfants aux faces et aux mains gelées luttaient avec la bise, les bras chargés de bois de chauffage. Ils avançaient, héroïquement, serrant avec amour sur leur poitrine le fagot de bois qui apporterait du bonheur dans la promiscuité de leur taudis. Adrien connaissait bien cela :

— Donnez-moi, pour quinze centimes, cinq kilos de bois ! avait-il, enfant, si souvent crié dans la boutique du marchand.

« Ah ! pourquoi ne reste-t-on pas toujours enfant ! »

Il s’engouffra dans une houleuse maison de thé populacière de l’avenue Vacaresti. Vapeur aveuglante. Peuple juif bavard, vivace, intelligent, spirituel, quoique crevant de misère. Pas moyen de trouver une place libre. On était entassé comme des harengs. Quatre et cinq bouches penchées sur la même portion de thé de vingt centimes, absorbaient avidement de l’eau bouillante, presque incolore et sans sucre. Mais les têtes, les yeux et les bras, et les langues surtout, semblaient possédés par un furieux besoin d’imposer leur opinion, de tout dire d’un seul coup, de boucher un coin à l’adversaire.

Adrien y reçut une violente douche d’optimisme et retira la main qui serrait dans la poche le ridicule revolver.

Ce monde ! Ce monde écrasé de malheurs ! Mais où était-elle donc, sa souffrance ? Sous ces visages, suants, épanouis, tous ces yeux brillants de joie railleuse. Tous ces hommes sales, loqueteux, à moitié ou complètement affamés, qui se tournaient vers lui pour le voir et l’identifier, ou simplement pour l’accueillir, triomphants, lui faire place et l’entraîner dans leur vacarme, le gagner ou le confondre, le « découdre », en tout cas, et surtout ne pas lui tolérer cette mine d’enterrement qui n’est pas de mise !

Adrien traversa la cohue, revint sur ses pas et se sauva honteux. Là, pour lui, il n’y avait pas de place au propre ni au figuré, surtout au figuré.

Il alla prendre son thé au Café Boulevard. Peu de monde. Beaucoup de glaces, de cuivres, de nickels. De la propreté hostile. Une dame raide au comptoir. Des garçons qui répri-