Page:Europe (revue mensuelle), n° 125, 05-1935.djvu/125

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du bureau, bien que le bas du corps fût entièrement affalé sur le sol ».

Adrien ne pouvait pas croire cela :

« À la serrure ! Il a dû se traîner, alors, pour parvenir à s’étrangler ! Quelle horreur ! »

Cette mort l’épouvanta. La mort même l’épouvanta. Un grand besoin de vivre, de vivre à tout prix, le poussa vers l’hôtel English. Tomber dans les bras de Mikhaïl, lui demander pardon, puis quitter Bucarest, partir ensemble à l’étranger, n’importe où, mais y jouir de la vie, du soleil, de la liberté, même dans la misère !

Ce ne fut qu’une courte crise d’espoir. La nuit le trouva indécis, dans un café du quartier de Mikhaïl. L’idée de retrouver son ami renfrogné, peut-être prêt à une rupture définitive, l’arrêta plusieurs fois à l’entrée de l’hôtel. À dix heures, il gagna la couchette de l’atelier.

Il y veilla jusqu’au matin. La serrure et le pendu qui traînait sur le sol lui dansèrent sous les yeux pendant toute la nuit.

C’était dimanche. L’atelier restait fermé.

« Je ne me lèverai aujourd’hui que sous l’aiguillon de la faim » pensa-t-il.

En effet, il ne se leva qu’à midi, après avoir dormi quelques heures. Son regard tomba sur le revolver, posé sur la chaise à son chevet. Tout en s’habillant et en allumant le poêle de l’atelier, il se demandait quel serait son destin des jours suivants ? Se tuera-t-il, finalement ou bien la vie l’emportera-t-elle sur la mort ? En ce moment, grâce au pendu, son cœur avait mis en échec la menace du revolver. Mais, après ? Adrien aurait beaucoup donné pour le savoir.

Il fit un saut dans le quartier se chercher du pain, du fromage, du thé, du sucre. De retour, il tomba sur Mikhaïl qui, assis sur la chaise, tenait le revolver dans une main, les deux balles dans l’autre. Il était chiquement habillé ; et sa valise, à côté de lui, ce qui fit comprendre à Adrien qu’il avait quitté sa place.

Les deux amis se considérèrent un instant, muets, Adrien, debout, ses emplettes sous les bras, Mikhaïl, assis à la place du revolver. Le dernier dit, montrant l’arme :