Page:Europe (revue mensuelle), n° 14, 02-1924.djvu/5

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Anéanti dans son amour, il prit d’abord des maîtresses, mais sans inclination, simplement pour se venger, pour stimuler sa femme, la « réveiller ». Elle écouta les dires, vit de ses yeux, et n’en fit aucun cas : le sommeil lui était plus cher. Elle ne prit même plus la peine de se débarbouiller, et s’endormait en mangeant.

Mais les gens qui voyaient avec une haineuse jalousie la prospérité du travailleur infatigable, ne furent pas satisfaits de sa douleur domestique ; les malheurs du mari ne leur suffirent pas ; et une nuit, sans crainte d’une surveillance, des mains inhumaines mirent le feu à la belle maison. Des fenêtres de son arrière-boutique, l’oncle Anghel vit les flammes envelopper sa demeure aux toits couverts de tôles galvanisées ; il resta sourd aux cris des gens qui l’appelaient au secours de son bien ; il se disait :

— Pourvu qu’elle brûle avec !

Mais elle ne brûla pas, et continua de dormir à l’ombre de ce qui fut sauvé du sinistre par les voisins, jusqu’au jour où, poignardée par une violente pneumonie, le Créateur, qui l’avait mise sur la terre pour montrer aux hommes le revers de bien des beautés féminines, l’appela à lui pour effrayer les pénitents de son Purgatoire.

L’oncle Anghel, malgré ce qu’on aurait pu croire, ne fut pas insensible à sa mort inattendue.

Son neveu Adrien, qui venait souvent, vers sa quinzième année, lui faire de passionnantes lectures, lui raconter « l’origine des mondes » ou « la formation de la Terre », et pour qui le brave homme avait un amour sans bornes, fut fréquemment témoin de ses attendrissements.

Que de fois, rôdant ensemble sur le lieu du sinistre, par d’admirables clairs de lune, il le vit tirer son mouchoir et essuyer ses larmes ! Les toitures,