Aller au contenu

Page:Europe (revue mensuelle), n° 14, 02-1924.djvu/6

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

effondrées, pourrissaient dans les eaux des pluies qui formaient des mares dans les chambres. Des restes de meubles gisaient dans l’enchevêtrement des poutres brûlées, Ailleurs, il n’y avait plus que des pans de murs. La grande écurie, restée intacte, évoquait avec nostalgie un bétail envié par trop de monde pour continuer à vivre. Le souchet sauvage, le genêt, la ciguë, croissant libres dans la belle cour d’autrefois, montaient à hauteur d’homme.

— Vois-tu, Adrien, disait le malheureux, la voix étranglée de douleur, vois-tu ce cimetière ? Il est, pour moitié, l’œuvre des hommes, et pour moitié, l’œuvre du destin. Si j’avais hérité ce bien de mon père, j’aurais trouvé une raison aux hommes de m’envier, et de me le détruire, quoiqu’ils n’aillent pas mettre le feu aux palais des seigneurs. Mais cette maison était née de la sueur de mon front, après vingt ans de fatigue ; elle n’était pas un luxe, mais le nécessaire, ce qu’il faut à tout homme pour vivre en homme, lui et sa femme, et non pas en bête stupide. Et l’on ne pourra me reprocher d’avoir jamais été avare : l’affamé trouvait toujours chez moi de quoi calmer sa faim, et lorsqu’arrivaient les grandes fêtes, je pensais à la veuve sans appui et entourée d’enfants ; j’allais lui porter les œufs de Pâques, la brioche, et un quart d’agneau, ainsi que le lard et la cuisse de porc à Noël. Je ne faisais pas l’aumône, mais mon devoir : Dieu m’avait donné ; à mon tour, je donnais de mon surplus, et je ne m’en enorgueillissais pas ; je n’en avais pas le droit, car j’ai vu d’autres qui me dépassaient dans le bien : c’étaient ceux qui partageaient leur pain avec le premier affamé rencontré sur la route…

« On ne pourra non plus m’accuser d’avoir dépouillé mes clients, pour m’enrichir. Je suivais l’exemple de droiture que j’avais vu chez mon patron. Si mes bénéfices furent grands, ce fut parce que j’allais chercher