Page:Europe (revue mensuelle), n° 143, 11-1934.djvu/60

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Vers 1926, je ne cessais d’être obsédé jour et nuit par le souvenir des années 1914-1918 qui avaient eu une telle importance pour mon destin. J’écrivis Petit-Louis — encore aujourd’hui, je ne sais me délivrer autrement du passé. Dès les premières pages je rencontrai des difficultés inattendues, écrasantes. Peut-être étais-je, à mon insu, quelque peu romancier ; j’avais souci, sinon de composer, de choisir dans la matière énorme dont je disposais. J’éprouvais aussi une gêne à parler directement de moi. Mes projets se modifièrent, insensiblement je fus conduit à écrire mon premier livre. Pour un début, je ne pouvais choisir sujet plus complexe, plus rebattu ; mes préoccupations n’étaient pas littéraires et je ne cherchais point à surprendre, ou à épouvanter — je ne voulais que conter l’histoire d’une adolescence qui avait pu être la mienne, celle de quelques autres. En 1929-1930, je repris mon manuscrit, le récrivis, sans en changer beaucoup le fond. Lorsque Petit-Louis parut, plusieurs critiques parlèrent avec sévérité de cet ouvrage — je comprends bien les raisons de leur jugement ; un ou deux me reprochèrent mon objectivité, mon manque de conclusion — comme si la bonne méthode eût été de décrire la guerre « vue » de 1930, et non comme je l’avais pu vivre. Quant à moi, je n’oublie pas que je dois à ce livre d’avoir retrouvé quelques-uns des moments douloureux que mes camarades, mes parents, moi-même, avons traversés ; qu’il m’apporta la sympathie généreuse d’André Gide, puis celle de Roger Martin du Gard.

En me demandant de collaborer à ce numéro d’Europe, Jean Guéhenno m’écrit : « Chacun selon sa plus profonde et sa plus personnelle expérience se mettra devant le fiasco de ces vingt ans… chacun nous fera ses plus chaudes confidences. » J’userai de cette invitation qui m’offre une occasion d’interroger mes souvenirs plus librement que je ne l’ai pu faire dans Petit-Louis. Parce qu’il ne s’agit point de conter selon les