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Page:Europe (revue mensuelle), n° 143, 11-1934.djvu/61

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règles ; parce que je n’ai pas tant à songer à un lecteur qu’à un confident, presque un ami, et qu’il me sera permis de livrer en vrac mes pensées. De ceux qui collaboreront à ce numéro le hasard veut que je sois peut-être le plus jeune, le moins mêlé à la guerre et au temps d’avant-guerre. Souvent, il m’arrive de rencontrer des « moins de 30 ans » ; moi qui en aurai prochainement 36, ma foi ! je ne me sens pas trop séparé d’eux, physiquement, intellectuellement. Et mon aventure de jeunesse pourrait bien être un jour la leur. Aussi est-ce à eux particulièrement que je m’adresse.

En écrivant Petit-Louis, je n’ai pas épuisé mes souvenirs des années de guerre. Plusieurs me reviennent à l’esprit, que je m’étais proposé de conter. Le moment est venu. Il ne s’agit point de scènes plus horribles que celles du Feu ou de À l’Ouest Rien de Nouveau. Il m’a été donné, comme à tous les combattants, de voir mourir des camarades, d’échapper une ou deux fois à la mort. On peut déclarer aujourd’hui, à l’exemple de certains, que ce sont là des thèmes usés, aussi je ne les aborderai point. Je préfère choisir ces images qui, sans être sanglantes, n’en laissèrent pas moins dans mon esprit des traces profondes. Chacun a les siennes. Ce sont les histoires les plus humbles qu’il importe peut-être de connaître, qui peuvent le mieux disperser les légendes. Je souhaite que les anciens combattants fassent tomber le masque qu’on leur a collé sur le visage, qu’ils effacent ces couleurs vives avec lesquelles on les a peints, flattés, une fois de plus trompés ; je souhaite que s’ils parlent de guerre à de jeunes hommes ce soit sans orgueil, sans céder à aucune griserie, qu’ils se remettent dans la peau de l’être misérable qu’ils furent et retrouvent une bonne fois leurs vraies colères, leurs haines.

Pour moi, je me revois retournant au front, après une permission de détente, au cours de l’hiver 1917-1918 peut-être. Je suis dans un train bondé de permis-