Page:Europe (revue mensuelle), n° 143, 11-1934.djvu/65

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consolations aux hommes. Chacun fréquentait où bon lui semblait. Je puis dire que la « maison » de S…, ne désemplissait pas — on fermait tout au plus entre 2 et 7 heures du matin. En ce lieu, il n’y avait pas d’encens, d’ombres, de mystères, l’homme s’y montrait nu, plus que dans un confessionnal. Derrière ses gestes brutaux ou grossiers, derrière son désir, se cachaient sa simplicité et sa misère, sa soif d’oubli, peut-être de bonheur, sa solitude, sa peur de la nuit, du silence, de la mort. Des sentiments de pudeur, de honte, ne pouvaient trouver place dans son cœur. Les événements lui avaient appris à être rude, simple, passif ; en vérité, on ne souhaitait point le voir réfléchir sur ses actes. Si je souffrais pour lui — confusément — c’était de le surprendre au fond de son abîme, là où il n’avait pas désiré tomber, où il était. Un abîme, non parce que le lieu paraissait plus bas et vulgaire que beaucoup d’autres ; mais parce que c’était là qu’on découvrait le mieux le dénuement de son cœur. Aussi n’ai-je jamais pu oublier ces heures. Les rires et les chants éteints, les saouleries et les batailles entre camarades terminées, les femmes, qui n’étaient que des instruments, disparues, il y avait le silence, le vide, et dans cette maison je contemplais comme des ruines, une espèce de cimetière. Aujourd’hui encore. Impossible de rien atténuer, cacher de ces instants. Ils font corps avec la guerre — on le sait assez, et on le tait ! Je leur dois d’avoir retrouvé, sous des uniformes, des hommes, mon dieu, et quels hommes ! Comment ne pas vouer — entre tant d’autres raisons valables — une haine mortelle à cette guerre qui mutila leur âme aussi cruellement que leur corps ?

Certains pourront penser que je choisis dans mes souvenirs les plus sombres ? — moins que ces jours de retraite, ou d’offensive, de juin-juillet 1918. Que je me plais à faire revivre des personnages qu’on nommait « défaitistes » — ainsi traitait-on les hommes dont la