Page:Europe (revue mensuelle), n° 143, 11-1934.djvu/69

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ment, ne se faisaient pas scrupule de l’empoisonner.

Enfin, le 18 décembre 1919, je fus démobilisé. Je ne raconterai pas ici cette belle journée. On sait que nous touchions une prime, une espèce d’uniforme civil, et que par ailleurs nous restions à la disposition de l’autorité militaire. Lors de l’occupation de la Ruhr, on parla de rappeler plusieurs classes. Presque chaque nuit, depuis ma démobilisation, je retrouvais avec une précision cruelle des images du front, cauchemar plus atroce, je rêvais que les hostilités reprenaient. Peu s’en fallut que ces rêves ne deviennent encore une fois réalité. Une partie de la classe 1919, je crois, fut appelée. Quant à moi, j’échappai.

Mais il n’était point besoin de cet événement pour me faire souvenir du danger. Je n’oubliais rien ; et, chaque semaine, des nouvelles ne m’apprenaient-elles pas que l’esprit de guerre brûlait toujours en Europe ? Dans cette atmosphère trouble il fallait préparer l’avenir. J’avais choisi d’être peintre. Je dus au dévouement de mes parents de pouvoir entreprendre de longues et hasardeuses études. J’allai travailler du matin au soir dans une « académie », boulevard de Clichy ; la deuxième année, j’en devins le massier, je n’eus à payer que mes dépenses de peinture. Pendant la guerre, je m’étais plu à dessiner et peindre des scènes héroïques, à l’instar des grands artistes de l’Illustration ; mes maîtres étaient Édouard Détaille et Alphonse de Neuville. Mon engouement tomba dès que je portai un uniforme ; et, plus tard, je vis des reproductions de véritables œuvres d’art — en Rhénanie, j’avais acheté une série d’albums artistiques. Le musée du Louvre rouvrait ses portes, j’y passais des journées entières ; dans les galeries, je vis des œuvres de Renoir, de Cézanne, de Van Gogh, j’étais sauvé — du reste, jamais, je n’avais eu l’intention d’entrer à l’école des Beaux-Arts. Je faisais encore d’autres découvertes. Des jeunes femmes, des amateurs,