Page:Europe (revue mensuelle), n° 143, 11-1934.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

étrangers ? — ce que les peintres surréalistes ont pu réussir quelquefois. Le soir, après avoir posé mes pinceaux, je me remis à écrire. Ce fut bientôt Petit-Louis, j’ai expliqué pourquoi. Ensuite, L’Hôtel du Nord. En même temps que je m’efforçais de conter les aventures d’hommes anonymes, je prenais encore plus clairement conscience de moi-même. Toutes les préoccupations qui m’agitaient trouvaient leur place dans mon nouveau travail. Je n’éprouvais plus ce sentiment pénible, étouffant, d’agir pour moi seul et un cercle d’initiés. Je pouvais participer à un combat, dénoncer des dangers, me délivrer de mes angoisses, resserrer certains liens. Je ne songeais pas à faire de la littérature, à servir l’art ; si je m’appliquais avec acharnement à ma tâche, si je voulais posséder une bonne technique, c’était pour donner plus de précision et plus de force à ma pensée. Enfin, la besogne à accomplir me parut immense, pressante — neuve, vers 1927 — et peu à peu je ne connus plus d’autre activité, je renonçai à peindre.

Ce n’est pas l’instant d’exposer en détail mes tentatives littéraires. Depuis 1927, chacun de mes livres a été pour moi un effort nouveau, un enrichissement, une année de ma vie, parfois plus. Voilà pourquoi je ne puis passer sous silence cette période ; mon activité présente, future, en est le fruit.

Mon récit s’est attardé ou, trop rapide, est resté confus. Mais la demande qu’on m’a faite autorise quelques licences. Et j’ai écrit que je souhaitais trouver un confident plutôt qu’un lecteur.

Souvent, je me répète : « Tu as eu de la chance ! »

C’en est une que de pouvoir se livrer à l’examen de ces vingt années. Parce que cela suppose, naturellement, que vous avez pu les vivre, et voilà bien la grande chance !