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LE PÊCHEUR D’ÉPONGES

pendant toute la durée du service divin et ne se réveillent qu’au moment où le bedeau, passant pour sa quête, leur crie dans l’oreille : Pour l’égli-i-ise ! Pour l’hui-d’ile !… Pour les cié-é-erges ! Alors ils se souviennent de Dieu et l’honorent de deux sous, qui les haussent dans l’estime des paroissiens. Mais, nos parents, vieux et pauvres, ils les ont laissés mourir de froid et de faim. Quand ils parlent de ces événements, mes frères et leurs paroissiens disent qu’« ainsi Dieu l’a voulu ».

« Moi, j’ai voulu vivre autrement. À l’âge de dix ans, j’ai quitté l’école. Je me suis embauché comme garçon d’épicerie. Je volais du pain et des anchois, que je portais la nuit à mes parents, mais les pauvres vieux sont morts, malgré mes anchois, et je suis resté seul.

« Maintenant, j’ai treize ans. Autour de moi, tout un monde de frères… frères de la même graine que mes aînés, les parvenus et les autres. C’est la même chose : que celui-ci arrive ou qu’il n’arrive pas, il n’y aura de changé sur la terre que le jugement de ses paroissiens, selon qu’il va à pied ou en voiture, selon sa façon de répondre au bedeau qui crie pour Dieu.

« Là fut ma première révélation de l’œuvre de ce Dieu, et j’en eus la nausée. J’envoyai au diable mon épicerie et ses tonneaux d’anchois. Je commençai une vie de vagabondage dans le port, à l’époque où les ports avaient une âme et nourrissaient des troupeaux d’enfants et de chiens vagabonds. Enfants et chiens, nous rôdions autour des mêmes cuisines ambulantes, recevions des hommes les mêmes reliefs de table et les mêmes coups de pied, nous couchions la nuit dans les mêmes refuges, afin d’avoir chaud et nous sentir amis.

« Parfois, un lambeau de journal, une feuille détachée de quelque livre, dont j’épelais le texte, le dos