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LE PÊCHEUR D’ÉPONGES

tigineuse. Ce ne fut pas sa faute. La mienne non plus. La mienne ne fut que de tomber.

« Tout ce qu’un homme de cœur avait bâti en six ans s’est effondré en quelques mois, mais surtout l’envie d’agir, ce premier support de l’existence humaine. Pour quelles raisons agir, quand nul ne croit en vous ? Ce serait être inférieur à un poteau télégraphique. Le poteau télégraphique soutient le fil, qui croit en lui, et il en est fier. Mais vous !

« Vous, ne pouvant égaler la destinée d’un poteau télégraphique, allez rejoindre la vôtre, dans la poubelle de Sulina, où les chiens mêmes vous évitent, maintenant que vous n’êtes plus un enfant. Ou bien, allez échouer, comme garçon de bureau, (gros garçon bête à la moustache épaisse !) dans quelque fabrique de sucre, où vous voyez paraître votre frère, toujours idiot, mais riche, toujours miteux, mais pouvant donner des ordres, qui avance sa tête, mal débarbouillée, au guichet des commandes et miaule timidement :

— Monsieur… je voudrais un peu de sucre.

— Petit vieux, fait l’employé, ici on ne vend pas du sucre au kilo, mais par wagon.

— Eh bien, répond le « petit vieux », envoyez-moi trois wagons. Je suis X…, l’épicier en gros de Sulina.

— À vos ordres !

« Le bel employé jette sa cigarette et prend la position militaire, devant le miteux qui pue l’oignon.

« Alors vous prenez la poudre d’escampette et vous vous en allez dans le monde.

« Bien entendu, vous y emportez votre cœur, comme j’ai emporté le mien, dans ce malheureux port du Pirée que j’ai choisi, toujours en espérant mieux. Et naturellement, je suis mal tombé.

« La Grèce est riche en « capitaines » et pauvre