Page:Europe (revue mensuelle), n° 96, 12-1930.djvu/107

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LA DISPARITION DU NOATEN


Quoique automne fût avancé, une nuit tiède baignait la campagne, au moment où le petit Zamfir rentra tout en nage, dire à son père que leur noaten était bel et bien perdu.

On appelle, chez nous, noaten, un poulain bon pour l’attelage. Celui qui venait de disparaître était un beau noaten, dont Zamfir avait la garde. Mais, avoir la garde d’une bête, lorsqu’on doit le jour entier couper du jonc, isolé du monde, dans le fourré marécageux, n’est-ce pas une injustice ?

Zamfir se le demandait, plein d’espoir, le regard fixé sur les yeux trompeusement calmes de son père : « Peut-être qu’il comprendra que je ne peux pas abattre tant de massette et savoir en même temps ce que fait le noaten dans la prairie.

Non, le père ne voulait rien comprendre. Cloué au milieu de la cour, la bouche dure, les mains lourdement enfoncées dans les poches de sa culotte, le visage à peine éclairé par la lumière borgne d’une lanterne, il répéta :

— Ainsi, tu me fais perdre le plus beau noaten que j’aie jamais élevé.

Le garçon soufflait péniblement, rompu de fatigue et muet de désespoir. Il était encore tout gluant des baves végétales dont sont riches les plantes des marais. Pour faire diversion, sa mère vint à lui, une cuvette d’eau chaude entre les mains :

— Ôte tes nippes, salaud, que je te lave.

Et elle voulut poser la cuvette aux pieds de l’enfant, mais le père, d’un coup de poing, les fit trois fois rouler par terre, sa cuvette et elle :