Page:Europe (revue mensuelle), n° 96, 12-1930.djvu/108

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— En voilà des manières.

Zamfir se mit à trembler de tout son corps frêle. Son père lui montra du doigt la porte :

— Repars après le noaten. Et, avant de savoir ce qu’il est devenu, ne rentre plus. Cours.

Le hameau s’endormait dans le clabaudage, faible comme un soupir, des petits chiens qui se résignaient à rejoindre leur couchette, cette nuit-là encore, sans comprendre pourquoi ils devaient avoir tant et toujours faim. Leurs aînés, graves comme est grave tout être abandonné à son sort, étaient déjà couchés dans les meules, une poignée de maïs dans le ventre. Ils comprenaient bien les soupirs des petits, mais ils ne pouvaient pas leur dire : « Allez voler un épi de maïs et trompez votre faim. » Et puis, on doit avoir des dents assez fortes pour pouvoir broyer du maïs sec. Cette sagesse, aussi bien que les dents fortes, ne devait venir qu’après de longs mois de douleur dans le ventre.

Zamfir, courant à toutes jambes, pensait à ces petits chiens. Comme eux, il avait faim ; il avait en plus la responsabilité du noaten. La brise desséchait, sur ses mains et son visage, la colle qu’il avait ramassée pendant la coupe de jonc et de massette. Pour s’en débarrasser, il crachait souvent dans ses mains, et se frottait le visage, qui durcissait. Alors il s’arrêtait et se demandait : « Où vais-je ? » Ne trouvant pas de réponse, il s’empressait d’obéir à l’ordre de son père : « Cours. »

Il courut dans la nuit, encore et encore.

Le vaste rectangle de l’Embouchure, avec ses quatre hameaux, ses marais, ses terres, ses prairies, était maintenant dans le petit corps de Zamfir, mais le noaten n’était nulle part. Il se jeta sur un tas de