Page:Europe (revue mensuelle), n° 96, 12-1930.djvu/122

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« Tsatsika n’a rien répondu, mais elle a encore beaucoup pleuré. Et chaque jour elle devenait plus triste, quand, tout à coup, elle s’est engaillardie. Ce fut au moment où Minnkou lui écrivit qu’il allait revenir de l’armée. Il en revint, après trois ans de service. Il fut bon pour nous. Pour les autres aussi. Car il alla dire au garde turc qu’il savait ce qu’était un fusil et qu’il n’en avait pas peur. Il le lui dit, en vidant avec le Turc, dans les marais, une bouteille de tsouïka. Le garde avait compris et fut moins dur.

« N’empêche, ce n’est plus comme avant. Les marais ne sont plus à tout le monde et à personne. Maintenant, si l’on veut avoir du jonc ou de la massette, il faut les chipper. Et pour les chipper, on doit faire un détour de trois heures de voiture, tuer les bêtes et se tuer soi-même, alors que les marais sont là, à notre nez, ainsi que les bons chemins qui y mènent. Mais, tous les bons chemins de nos marais sont aujourd’hui gardés par un fusil, qui se tient on ne sait pas où et surgit au bon moment.

« Si tu savais comme cela paraît drôle ! C’est comme si on gardait le ciel avec un fusil, afin que nul ne lève la tête pour le regarder.

Sima, négociant de céréales et gros tavernier, à Braïla, arriva cet après-midi-là, dans un dog-car pompeux et mesquin.

Un tout petit homme de trente-cinq ans. Maigre. Ratatiné. Mais vif comme un écureuil et loquace comme une pie. Il était vêtu d’un costume soyeux et chaussé de bottes vernies. Sur la tête, un long bonnet pointu, de vraie fourrure d’Astrakhan, noire.

Stoppant avec bravade au milieu de la cour, il sauta gaillardement du dog-car et perdit son bonnet. Personne n’osa rire. Il se baissa pour le ramasser, et