Page:Europe (revue mensuelle), n° 97, 01-1931.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

trombe et, sans plus, se jeter sur le sol, à ses pieds, où il se mit à souffler péniblement.

Le spectacle qu’offrent les rues d’une ville où le choléra fauche les gens par dizaines à la fois est moins douloureux que celui qu’offre un seul être humain dont les entrailles sont dévastées par la jalousie charnelle. C’est que, à la souffrance des premiers, la mort suffit. À la souffrance du dernier, la mort ne suffit pas, car celui-ci craint d’emporter dans la tombe même le souvenir de l’être aimé qu’il abandonne aux caresses des autres mains.

Andreï Ortopan n’avait jamais connu ce martyre, mais son fils était son propre sang, et il voulut lui venir en aide. Il s’y sentit impuissant. Ses efforts n’aboutirent même pas à lui faire articuler un mot ou lever un bras. Il resta cloué à sa place, sur le tabouret, le regard tendrement posé sur le corps tout en convulsions de Minnkou. Ce n’était pas la première fois qu’il voyait son fils souffrir de ce mal qu’il ignorait : après chaque intervention que Minnka, pour une chose ou pour une autre, faisait auprès du boyard, de longues heures de tristesse ravageaient l’âme de Minnkou. Mais, dans un tel état, il ne l’avait jamais vu.

Le brave garçon ne voulait pas chagriner le vieillard, lui avouer toute l’amertume dont son cœur était lourd. Au reste, n’ayant pas encore osé approfondir l’abîme de sa souffrance, il ne savait pas si les relations de son aimée avec Mandresco étaient coupables ou simplement cordiales. Toutefois, depuis les machinations de Sima, il avait déclaré à son père que si quelqu’un lui ravissait de force l’amie, il ferait « mort d’homme ».

Père Andreï enleva doucement le fusil, qui pendait juste au-dessus de la tête de son fils, et alla le cacher dans un tas de joncs, derrière la maison. Il pensa : « Ainsi, mon ami Alexe veut vendre sa fille à Sima. Il