Page:Europe (revue mensuelle), n° 97, 01-1931.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Néanmoins, l’usine marchait à merveille et Sima trouvait toujours son compte, au bout de l’année écoulée. Ses vingt-deux domestiques y trouvaient, eux aussi, le leur.

Seule tsatsa Minnka, après avoir beaucoup vu, se demandait :

— Où diable est-il le bien-être de cet homme riche ?

C’est qu’elle n’avait pas tout vu.

Mais voici l’hiver. Il dura jusqu’au début d’avril et fut meurtrier pour les besogneux. Des enfants, des vieillards, des familles entières périrent de froid et de faim. On les trouvait gelés dans leurs taudis. Sur les routes, des transports paysans furent attaqués en plein jour, par des loups en bandes nombreuses comme on n’en avait encore jamais vu. De l’un de ces transports, constitué de quatre chars à deux bœufs et de six paysans, ne s’échappa vivant qu’un garçon qui se trouvait hissé sur un grand chargement de foin, d’où il assista au déchiquettement de toutes les bêtes et de tous les hommes qui les accompagnaient à pied, afin de se réchauffer. Les gendarmes découvrirent l’enfant à demi mort, enfoui dans le foin et couvert d’une fourrure.

L’existence du pauvre avait réduit ses besoins à quatre articles de première nécessité : bois de chauffage, farine de maïs, allumettes et sel. Rarement du tabac, plus rarement encore du savon et du pétrole. Les trois quarts du monde qui entrait chez Sima, au plus dur moment de cet hiver, ce n’était que pour demander ces articles. Une bonne moitié de ce monde les demandait à crédit ; et un pourcentage respectable de cette clientèle les mendiait, tout simplement.