Page:Europe (revue mensuelle), n° 98, 02-1931.djvu/102

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seconde, il contient un début qui vous rappelle au plus profond de vous-même, un milieu qui vous immobilise la pensée et une fin qui vous précipite dans l’inconnu. On sent tout cela, en un même temps qui commence par un choc, le seul qui soit réel. Le reste est fait d’une traînée de vibrations qui disloquent l’âme. Quand tout est fini et qu’on revient à la banale réalité, on éprouve quelque peine à s’y retrouver.

Le jour, les cris du « bœuf des marais » sont très rares, mais d’autant plus puissants, si l’on veut revivre et vérifier ce bref passage du réel à l’irréel et de l’irréel au réel. Cela n’est possible qu’à une condition : c’est de s’oublier soi-même, entre deux cris de l’étrange bête. Se tenant dans l’attente, ou frappé par des cris fréquents, l’effet diminue jusqu’à ne plus avoir de sens. Le concert des milliers de cris est alors préférable.

Il n’a lieu que par les belles nuits, et provoque des sentiments bien différents. Il n’y a plus de long ou à la forme de comète, mais une vague de mélodies dépourvues de mesure et variées à l’infini, car, la nuit, ce concert est fait de toutes les voix, allant des plus jeunes aux plus vieilles, tandis que le jour, seules les dernières se font entendre, et irrégulièrement.

L’état d’âme dans lequel vous jette ce tumulte harmonieux, est une balançoire qui oscille très lentement entre la frayeur et la joie, avec un long milieu transitoire fait d’une multitude de sentiments imprécis. Les phases et le rythme du concert ne jouent aucun rôle dans la détermination des sentiments. C’est son ensemble qui crée l’état d’âme et le varie.

Phases et rythme sont d’une construction capricieuse que seule égale sa beauté. Les cris s’unissent parfois en un mugissement d’une même note et d’une même longue mesure, pour continuer ensuite en saccades et finir en roulements de tambour. Il y a alors