Page:Europe (revue mensuelle), n° 98, 02-1931.djvu/104

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qu’on pouvait relever sur l’immensité aquatique, à part la digue de la voie ferrée qui la coupait en deux.

Entre le firmament d’en haut et celui d’en bas, seul un silence étouffant. On eût cru qu’un coup de tonnerre allait d’un moment à l’autre se produire.

L’eau montait toujours, à vue d’œil. Vers les dix heures, des meules de foin, des cadavres de bétail et des arbres déchiquetés vinrent lentement s’aligner en bas du plateau. Parmi ces arbres, Minnkou reconnut quelques gros saules de la Japsha Rouge. Il alla sur un radeau explorer les épaves venues pendant la nuit et y découvrit de nombreuses liasses de nattes qu’il ramena à terre.

Un peu plus tard, ce fut le beau métier d’Andreï Ortopan qui flotta sous les yeux des deux amants et, dans l’après-midi, on vit surgir père Ortopan lui-même, sur son radeau.

La poussée catastrophique du Sereth avait dirigé toute Japsha Rouge dans la direction naturelle du cours de la rivière : celle du Danube. Mais le Danube ne pouvait plus rien recevoir, ayant monté plus haut que son affluent. Ainsi s’expliquait l’arrivée des épaves.

Père Andreï en était une, encore assez vaillante. Balançant froc et barbe, le dos tourné aux spectateurs qui le saluaient de hourras frénétiques, il gouvernait courageusement, rejetant sa longue silhouette de droite et de gauche, les bras bien haut à son gouvernail.

PANAÏT ISTRATI.

(À suivre).