Page:Europe (revue mensuelle), n° 98, 02-1931.djvu/85

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Un silence brusque. Tous les regards se dirigèrent vers l’entrée, où un étroit sentier s’ouvrait, s’allongeait, se continuait jusqu’au restaurant et jusqu’à la salle réservée, devant un nain mal ficelé qui saluait, confus, à droite et à gauche. Du comptoir, le regard méprisant, Minnka s’était levée sur la pointe des pieds pour voir, comme au fond d’une tranchée, son « barbatt » suivre ce couloir fait de corps humains.

Alors un rire mâle éclata ; puis, dix ; puis, toute la taverne éclata d’un seul rire. Minnka quitta le comptoir et alla rejoindre Sima et ses amis.

Ils étaient une douzaine, tous fort avancés dans la « quarantaine de verres » réglementaires, dévorant des tranches de pis de vache et de « virilité de mouton », grillées. Parmi eux, Minnkou que son amie avait invité à cette fête. Sima ne le connaissait pas. Les autres non plus.

Les deux anciens amants se revoyaient pour la première fois, depuis la nuit mouvementée de Japsha Rouge. Ils se serrèrent simplement les mains, défaillants, puis, Minnka alla s’asseoir entre son mari et Catherine, dont l’ami, un jeune pêcheur, était là lui aussi.

Minnkou avait maigri. Son visage portait les traces d’une souffrance qui n’était pas prêt de finir. Elle adoucissait l’uniformité banale de ses traits, et les ennoblissait. Son air gauche, au milieu de tous ces citadins, sa gêne causée par des vêtements raides qu’il ne mettait qu’à Pâques et à Noël, le trouble qu’il manifestait dès qu’on lui adressait la parole, le rendaient sage, délicat, taciturne, comme Minnka ne l’avait jamais connu. Elle en resta bouleversée au point de quitter sa place et d’aller s’asseoir près de lui. Minnkou roula des yeux effarés. Tsatsa-Minnka lui enlaça le cou et l’embrassa sur une joue.

Sima, tout à sa discussion avec un ami, ne vit rien.