Page:Europe (revue mensuelle), n° 98, 02-1931.djvu/91

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de l’ouverture. On l’aimait, non seulement parce qu’il avait la « main bonne », mais aussi pour son calme.

Sac au dos, un bâton sous le bras, il franchissait le seuil avec un « bonjour » paternel qui allait droit au cœur du garçon de peine dont les yeux étaient encore pleins de sommeil et l’âme assez triste. Le temps d’avaler son petit verre de tsouilka, appuyé au comptoir, et il repartait :

— Bonne santé, mon fils !

Souvent, Tsatsa-Minnka et Sima se trouvaient dans la taverne à l’arrivée du pêcheur d’écrevisses. Ils étaient là, également, chacun sur sa chaise, et taciturnes, ce matin de juillet quand le vieux entra, salua, but son verre et dit, en partant :

— Le Danube monte.

Pour banale que fut cette nouvelle, elle fit sursauter les deux époux sur leurs chaises. Sima se leva et partit en coup de vent, sans un mot pour sa femme. Celle-ci, le front tout plissé, les yeux méchants, s’empara d’un crayon et se mit à établir une liste de marchandises qu’il fallait commander ce jour-là.

Les époux Caramfil avaient, pour des raisons différentes, l’âme bien malade, depuis ce Premier Mai révélateur. Chaque jour, tel le Danube, leurs cœurs gonflaient sous l’assaut des vagues passionnelles. Lui savait que sa femme n’était plus là que par miracle, et l’idée de la perdre lui devenait journellement plus pénible que la mort. Elle, tout barrage conventionnel abattu, se laissait entièrement emporter par son amour pour Minnkou, pour sa vie saine.

À Japsha Rouge, l’âme de Minnkou n’en était pas moins malade. Et ces mêmes jours de juillet, regardant la montée du Sereth, c’était son propre cœur qu’il sentait gonfler. Mais chez lui, cela allait loin :

— Je tuerai Sima !