Page:Evariste Huc - Empire chinois ed 5 vol 1.djvu/227

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les mandarins qu’on leur éviterait les embarras de la corvée en faisant route par eau. Il était facile, en descendant le fleuve, de faire dans une journée le trajet de quatre étapes. Le louage d’une barque coûtant fort peu de chose, les profits devenaient énormes, et voilà pourquoi maître Ting récitait avec tant d’épanouissement les litanies de Kao-wang.

Si la navigation eût été supportable, nous eussions été heureux de pouvoir fournir à notre conducteur l’occasion de réaliser une petite fortune ; mais elle fut détestable, et plus d’une fois dangereuse. La pluie ne discontinuait pas un seul instant ; et, comme nous étions partis fort tard, la nuit vint nous surprendre, que nous avions à peine parcouru la moitié de notre course. La navigation du fleuve Bleu, si sûre et si facile dans l’intérieur de la Chine, alors qu’il a acquis tout son développement et qu’il roule avec majesté ses eaux profondes à travers de vastes plaines, présente de graves difficultés dans la province montueuse du Sse-tchouen. Son cours a souvent la rapidité d’un torrent, et son lit tortueux et semé d’écueils exige, de la part du navigateur, une grande prudence et beaucoup d’expérience. Aussi, le vice-roi avait-il prescrit que nous ferions route par terre ; mais il avait compté en dehors des calculs de maître Ting, qui n’avait pu résister à la tentation de spéculer sur notre vie et sur la sienne. Nous ne lui adressâmes pas un mot de plainte, pas un geste de reproche. Nous nous contentâmes de former, à notre tour, notre petit plan, pour prendre la revanche le lendemain, et lui faire perdre l’envie de suivre, à l’avenir, les inspirations de son génie spéculateur