Page:Evariste Huc - Empire chinois ed 5 vol 1.djvu/50

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voir réunies et amoncelées toutes les horreurs et les misères des routes du Thibet et de la Tartarie. Nous étions comme des malheureux qui, après s’être arrachés du fond d’un abîme par des efforts de tout genre, y sont tout à coup précipités de nouveau. Les porteurs de nos palanquins firent des prodiges d’adresse, de force et de courage. Dans les endroits les plus difficiles, nous voulions descendre pour leur procurer un peu de soulagement ; mais ils ne le permettaient que rarement, car ils mettaient une sorte d’amour-propre à gravir comme des chamois les rochers les plus escarpés, et à franchir d’affreux précipices, toujours portant sur leurs épaules ce lourd palanquin, qu’on voyait se balancer au-dessus des abîmes. Que de fois le frisson est venu parcourir nos membres ! Il n’eût fallu qu’un faux pas pour nous faire rouler au fond de quelque gouffre et nous broyer contre les rochers. Mais rien n’est comparable à la solidité et à l’agilité de ces infatigables porteurs de palanquin. Ce n’est que parmi ces étonnants Chinois qu’il est possible de trouver les gens de cette trempe. Ils exercent leur épouvantable métier avec une prestesse et une jovialité dont on est stupéfait. Pendant qu’ils courent sur ces affreux chemins, haletants, le corps ruisselants de sueur, et perpétuellement exposés à se casser quelque membre, on les entend rire, plaisanter, quolibeter, comme s’ils étaient tranquillement assis dans une taverne à thé. Malgré les fatigues inimaginables que ces malheureux endurent, ils sont très-peu rétribués. La taxe de leur salaire est fixée à une sapèque par li, ce qui revient à peu près à un sou par lieue. Ainsi ils peuvent tout au plus gagner la va-