Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/101

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— Deux heures que nous pouvons remplir, Madeleine, à causer de nos projets de mariage.

— La fille d’un mulâtre, mariée avec un blanc, murmura Madeleine en s’asseyant à côté de Firmin ; c’est étrange, et cela dépasse mon intelligence…

— C’est que vous vous trompez, vous n’êtes point l’enfant d’un mulâtre, vous êtes une blanche, Madeleine.

— Ne serais-je donc pas la fille de Jérémie ? demanda la jeune fille en se dressant pâle et froide comme une statue, et elle se prit à trembler de tous ses membres.

— Madeleine, répondit doucement Firmin en la forçant à se rasseoir, vous allez être ma femme ; causons donc de notre bonheur prochain.


XXV


Madeleine n’écoutait plus ; son œil, fixé sur la terre à dix pas devant elle, noyé de larmes, suivait une pensée dont le fil se déroulait au fond d’un abîme que son âme sondait en ce moment.

Une double révolution s’opérait tout à coup et simultanément dans l’existence de la jeune fille. C’était son passé qui s’effaçait, c’était un avenir nouveau qui s’ouvrait. Elle s’élevait de l’obscurité et de l’abjection à la dignité et à la grandeur.

Nous nous servons là d’expressions qui pourront paraître étrangement humiliantes. Elles sont loin de notre conscience, mais nous les écrivons sous la dictée des préjugés de la société coloniale, telle surtout qu’elle existait à cette époque. Il faut avoir vécu au milieu de ces haines