Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/115

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XXIX


Madame de Mortagne était sortie de la case de l’économe et était remontée dans son hamac, reprenant le chemin du Macoubac.

Sur cette route, il existe un lieu pittoresque et presque solennel, une voie sombre qui serpente entre deux haies de rochers gigantesques et noirs, calcinés par les rayons du soleil, et d’où quelque source d’une eau claire et limpide suinte de loin en loin.

Il est difficile de ne pas se recueillir en traversant ce passage. L’ombre immense que les rochers géants projettent sur le sol sonore et granitique comme les murailles naturelles qui le bordent, le coin de ciel qu’on aperçoit par échappées au-dessus de ces voûtes, le chant monotone des cascades qui se précipitent du sommet de ces rochers couronnés de verdure, emplissent l’âme d’émotion et lui donnent d’étranges frissonnements.

J’ai traversé maintes fois ce défilé en caravanes de voyageurs à cheval, ou de voyageurs en hamacs, c’est-à-dire toujours avec une escorte d’une vingtaine de nègres, plus ou moins. Tous, selon leur habitude, chantaient en marchant, comme pour alléger leur fardeau ou tromper la lassitude de leurs membres. Mais, à l’entrée de ce sombre chemin, ils se taisaient, se signaient quelquefois, et ne reprenaient leurs chants qu’après en être sortis. La majesté du lieu leur imposait toujours.

Il en fut de même de l’escorte de madame de Mortagne.

La jeune et orgueilleuse créole était partie, blessée au