Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

distinction depuis vingt ans : il fût devenu terrible si on lui eût retiré ses casseroles.

Cette science, toutefois, n’était jamais perdue. Si les bons procédés du maître, si l’affection de ses nègres pour lui et pour sa famille le garantissaient des atteintes de ce poison qui veillait nuit et jour à son chevet, à sa cuisine, et gardait toutes les avenues de sa maison, l’empoisonneur n’en était pas moins au service de ses voisins. C’était même là souvent une tactique très-ingénieuse de la part d’un atelier mécontent, de cacher sur une habitation voisine la main vengeresse qui décimait une famille et ruinait un propriétaire, quelquefois dans l’espace d’une nuit.


III


Pendant un de mes séjours en Amérique, j’avais reçu mission de présenter à quelques habitants d’une de nos îles un jeune Français que ses fonctions appelaient à résider dans la colonie.

Il n’avait aucune notion, ou plutôt il n’avait guère, comme tous les européens, que des notions fausses sur l’existence coloniale. Il s’était fait, entre autres erreurs, une idée mesquine de la vie de campagne aux colonies. Afin de rectifier tout de suite ses jugements et de l’initier, du premier coup, aux splendeurs de cette végétation qui n’a pas sa pareille dans le monde, au spectacle de l’activité d’une habitation, de l’étendue des propriétés, du côté curieux et original des rapports entre le maître et l’esclave, je résolus de le conduire, pour son début, sur une des sucreries les plus considérables de l’île.

C’était précisément à un moment de coupe et de roulai-