Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien conséquence de la vie coloniale ? c’est ce que je ne saurais dire.

Ainsi il n’est pas rare que, sur une habitation ou dans une maison de ville, on conserve dans l’intérieur certains esclaves réputés maîtres empoisonneurs, et même qu’on leur montre une confiance illimitée dans la conduite et les soins du ménage ; bien souvent ils ont la garde et la surveillance des enfants. On ne paraît guère s’en préoccuper.

Je fis frémir un de mes amis, nouvellement arrivé aux Antilles, en lui racontant que, sur l’habitation d’un de mes parents où je le conduisais en visite, le cuisinier passait, — ceci sans épigramme, — pour un empoisonneur émérite.

Ce nègre, malgré sa fatale réputation, n’en était pas moins resté à ce poste de confiance près de vingt ans. De rares cas d’empoisonnement attristèrent l’habitation. Des bestiaux seulement furent atteints de loin en loin. On soupçonna toujours ce Vatel crépu, mais sans jamais le pouvoir surprendre en flagrant délit ; on ne chercha même pas à le faire. En bonne politique coloniale, c’eût été une imprudence. L’ignorance, au contraire, que l’on affectait sur les talents monstrueux et quelque peu excentriques de ce cuisinier, fut la sauvegarde du maître de l’habitation et de sa famille.

En général, tant que le mal ne s’est pas encore introduit sous le toit intime, autour de la table, le maître a tout intérêt à vivre dans la plus parfaite sécurité. Le moindre doute, le moindre symptôme de crainte ou de défiance qui nécessite l’expulsion violente d’un domestique ou simplement son déplacement de fonctions, si adroitement qu’on s’y prenne, est le signal d’un crime.

Le cuisinier empoisonneur dont je parle n’était pas dangereux devant ses fourneaux, qu’il administrait avec