Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/129

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question pour lui. Le sucre sera-t-il -beau ou sera-t-il de mauvaise qualité ? Autour de ces bacs s’élèvent et s’écroulent bien des illusions, bien des calculs, bien des espérances ! Question de fortune ou de ruine ; de vie ou de mort souvent.

Quand vient le soir l’atelier rentre, les mulets et les bœufs se reposent, la chaîne électrique est interrompue ; toute l’action, toute l’activité se concentre autour du moulin qu’enveloppe une épaisse vapeur, au milieu de laquelle brillent des feux de torches et les flammes des cheminées. Les chants plus serrés, plus nourris, retentissent en chœurs formidables pendant toute la nuit, où les nègres font le quart comme sur les vaisseaux ; quelquefois le tambour se joint aux voix.

C’est une fête gigantesque que ce travail de roulaison, et qui se termine presque toujours par un immense bamboula sur les riches sucreries, et quand la récolte est bonne.

Aucune sorte de travaux en France, dans quelque usine que ce soit, ne peut donner une idée de ce spectacle étourdissant pour un étranger. En France, tout est méthodique, réglé, ordonné. Là, c’est un tohubohu, un mouvement, un pêle-mêle sans nom, un dévergondage de travail, si j’osais dire.

Il en reste une impression profonde, charmante et grandiose à la fois.

Ainsi que je l’ai dit plus haut, la première opération de la roulaison est le broiement de la canne entre les meules dentelées du moulin mû par l’eau, par le vent ou par les animaux. Depuis quelques années, on a introduit aux colonies des moulins à vapeur. Je dois constater que c’est un peu contre la volonté des colons, assez routiniers par tempérament.

Le jus de la canne est conduit, au sortir du moulin, par une gouttière en bois, dans une chaudière où il reçoit la