Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/144

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M. Lorgerins lui annonça son prochain mariage. Craignant, avec raison, que les habitudes d’autorité et de domination que Lisa avait contractées dans la maison ne constituassent une flagrante atteinte aux droits de sa jeune femme, Lorgerins voulut faire comprendre à la cabresse la nécessité pour elle d’abdiquer ses pouvoirs et de déposer son sceptre.

Lisa ne put s’y résoudre ; tout ce qu’elle vit dans l’abdication qui lui était commandée, c’était l’abdication elle-même, sans tenir compte des causes toutes naturelles qui rendaient cette suprême résolution indispensable. Elle se plaignit amèrement en s’écriant que ce n’était pas la récompense que méritaient ses services et sa conduite.

— Je ne méconnais point tes services, lui répondit de Lorgerins ; et je sais si bien apprécier ta bonne conduite, Lisa, que je la veux récompenser.

La cabresse haussa les épaules et secoua la tête comme pour signifier à l’avance à son maître qu’elle refusait tout ce qu’il pourrait lui offrir.

— D’abord, reprit de Lorgerins, je te donne ta liberté.

— Je ne veux pas de ma liberté.

— Plus cinquante doublons[1] pour t’élever un magasin au bourg.

— Je ne veux ni de vos doublons ni de votre magasin.

Il fallait que la résolution de Lisa fût bien forte, car elle venait de refuser ce qui est une des grandes ambitions des femmes esclaves de la campagne… la possession d’un magasin et le droit de faire commerce.

Dans un pays où le commerce avait été, pendant bien longtemps, un privilége exclusivement réservé aux blancs, il a été considéré comme le terme de l’ambition de la race noire et des gens de couleur. Devenir négociant, avoir un

  1. Le doublon est une pièce d’or qui vaut 86 fr. 40 c.