Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/145

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magasin où trôner, c’était toucher au nec plus ultra de la joie et de l’orgueil, bien après même qu’il ne s’agissait plus d’un privilége. Les femmes surtout y ont mis une extrême ardeur.

La liberté n’était rien à côté de cela !… Quelle liberté, d’ailleurs, quelle espérance de fortune pouvaient équivaloir, pour Lisa, à cette toute-puissance dont le mariage de son maître lui imposait le renoncement ?

— Je ne veux, répéta-t-elle avec une énergique obstination, rien de ce que vous m’offrez. Je suis négresse, je suis esclave, je dois retourner au travail.

Lorgerins insista de nouveau sur le bienfait et sur la récompense généreuse qu’il lui octroyait ; mais Lisa persista dans son refus avec une telle hauteur, avec une telle insolence de paroles et de tels mouvements d’épaules (lesquelles jouent toujours un rôle très-important et très-expressif dans la colère des nègres), que Lorgerins put oublier jusqu’à l’indulgence, jusqu’à la reconnaissance qu’il devait à Lisa. Il la condamna à recevoir vingt-neuf coups de fouet de la main du commandeur, en la renvoyant prendre place momentanément dans l’atelier de l’habitation.

Cette fille se résigna en apparence ; mais elle tomba bientôt dans une mélancolie profonde, indice certain d’une tentative de suicide opérée par le poison.

Le suicide est assez commun chez les nègres, et il ne se pratique généralement que par le poison. Il est rare qu’un nègre né sur le sol des Antilles, ce qu’on appelle, dans les colonies françaises seulement, un nègre créole (dans les colonies anglaises, on le nomme nègre anglais), il est rare, dis-je, qu’un nègre créole se suicide par la strangulation, par le charbon, par l’eau, par le fer ou par les armes à feu. Les nègres nouveaux (ceux qui proviennent de la côte d’Afrique), sont les seuls qui se donnent la mort