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Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/156

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L’énergie morale n’a jamais été la qualité dominante chez le créole. Il semble né pour la richesse et à la condition qu’elle lui viendra toute faite, en droit héritage, étant hors d’état de la reconquérir si elle a glissé de ses mains prodigues ou malhabiles.

La honte véritable que les créoles ressentaient devant leur ruine trahissait positivement cette incapacité à rebâtir l’édifice écroulé, et le dicton du pays : « que les fortunes y disparaissent comme l’ombre et s’écoulent comme l’eau, » semble avoir été inventé pour justifier ce mol abattement. Peut-on chercher à rattraper ce qui ne peut se saisir : l’ombre qui s’évanouit, l’eau qui s’enfuit ? On ne court pas après les chimères.

Il en résultait une défaillance complète de toutes les facultés chez les créoles frappés par les revers de fortune. Hommes et femmes subissaient également l’influence de cette atonie.

Le créole jadis opulent, qui se retirait dans un de ces monastères de Saint-Just, assistait véritablement, comme Charles-Quint, à ses propres funérailles. L’oisiveté s’emparait tout aussitôt de lui, en même temps que le désespoir, et de là à la dégradation il n’y avait qu’un pas presque toujours. Il ne tardait pas à contracter, dans cet isolement, des habitudes d’ivrognerie crapuleuse ; c’était le premier signe de sa décomposition morale, et sa vie s’achevait, heureusement très-courte alors, entre un bol de tafia et une négresse concubine. L’âge et l’absence de beauté n’étaient point un obstacle à ces accouplements moitié sauvages ; souvent ces compagnes de la misère, du désespoir et de la dernière étape de la vie ont été tout ce que la race noire peut produire de plus hideusement sale, laid et répugnant. « Tomber dans le tafia et dans la négresse, » est un proverbe du terroir, qui exprime la plus complète dégradation de l’homme.