Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/157

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En certains coins ténébreux de la Martinique, j’ai rencontré des créoles, gens bien nés et d’éducation, réduits à cette extrémité affreuse ; on les eût pris pour d’anciens Caraïbes. Leur costume, leur habitation, leurs mœurs, jusqu’à leur langage, tout était à l’avenant. C’est dans cette situation, propre à inspirer le plus profond dégoût, qu’on a retrouvé, il y a quelques années, le dernier rejeton d’un grand nom de France, traînant une misérable existence entre le bol obligé de tafia et une négresse de soixante ans.

Souvent cette concubine est une esclave, débris d’un atelier de trois ou quatre cents nègres, à qui seule est dévolu le soin de cultiver un coin de terre de deux ou trois mètres produisant juste ce qu’il faut d’ignames, de patates et de bananes pour la nourriture de ce triste couple, et un supplément de récolte qui s’échange hebdomadairement contre un morceau de morue ou de viande salée et quelques galons de l’indispensable tafia. Quelquefois aussi, cette concubine, maîtresse et servante, est libre ; mais elle reste volontairement attelée à ce malheureux condamné, le faisant vivre à la sueur de son front, pendant que lui subit cette suprême et outrageante dégradation, en philosophe sauvage, étendu toujours à moitié ivre, dans un hamac ou sur un mauvais lit qui sent d’une lieue le grabat d’hôpital.

C’est là une existence comparable à nulle autre, pas même à celle du sauvage, qui a au moins la liberté d’esprit, l’activité, la guerre, la chasse. Le créole des mornes n’a rien de tout cela ; il est simplement dégradé, abaissé, mis hors la civilisation dont il conserve encore tous les préjugés et un certain orgueil adhérent à la classe blanche de tous les pays d’outre-mer.

Si la ruine des créoles a pu produire souvent les résultats que je viens de dire, elle a été parfois aussi une oc-