Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/175

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des jalousies parmi les jeunes gens de l’aristocratie créole. Un d’eux, M. de Gerbier, appartenant à une des plus anciennes familles de la colonie, avait quelques titres personnels à l’ambitieuse conquête du cœur d’Églantine. Ses espérances, sans l’arrivée du jeune enseigne, auraient pu se réaliser, car la cause du jeune créole était entre bonnes mains.

Dans les familles créoles, tout enfant possédait toujours individuellement un esclave du même âge et du même sexe que lui, et spécialement affecté à son service. Il grandissait avec son maître, et était le compagnon de ses jeux. Rarement il était né ailleurs que dans la maison. Mais il arrivait quelquefois que sur un caprice ou sur une sympathie manifestée, on achetait ce jeune esclave pour lui faire ce sort très-heureux, et tout parfumé de gâteries, de préférences et de caresses. En Europe on donne des poupées et des joujoux aux enfants ; en Amérique on leur fait cadeau d’un petit esclave, espèce de poupée d’ailleurs, véritable jouet.

Mademoiselle de Surgy possédait à ce titre une jeune cabresse, fille de sa gardienne[1], et qui avait été élevée côte à côte avec elle. Manette (ainsi elle se nommait) exerçait sur l’esprit d’Églantine l’influence que ne manquent jamais de prendre ces esclaves privilégiés, suite inévitable de l’intimité grande où ils vivent avec leurs maîtres et maîtresses. Complaisants à l’excès, ils deviennent plus tard les confidents, les complices ou les conseillers de toutes leurs actions. Pas un secret ne leur échappe, et ils se chargent volontiers de toutes les missions délicates. Leur rôle va même au delà de certaines bornes ; en cela ils sont souvent un danger.

  1. La gardienne est la femme qui a élevé un enfant, c’est ce qu’en France on appelle une bonne.