Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la baie du Fort-Royal, la corvette à bord de laquelle était embarqué le jeune enseigne. Au cri de joie que poussa Églantine, Manette répondit par un sourd rugissement.

La maison qu’habitait M. de Surgy était située hors de la ville, dans le voisinage du fort Bourbon, sur une hauteur d’où l’on dominait la rade. Manette debout, à l’extrémité de la savane qui tapissait le devant de la maison, contempla d’un œil fauve la voile blanche qui, glissant au large du cap, traversa la baie pour aller se perdre, dans sa première bordée, derrière la Pointe-des-Nègres. La cabresse, joignant ses mains, fit claquer les phalanges de ses dix doigts dans une contraction nerveuse. C’était chez elle l’explosion d’une rage contenue.

En tournant la tête, elle aperçut Ovide immobile à vingt pas derrière elle, et l’œil collé à une longue vue braquée sur l’horizon.

— Que regardes-tu ainsi ? demanda-t-elle au mulâtre.

— La mer qui est calme au large. Le vent est tombé, la corvette ne pourra pas mouiller avant la nuit, répondit Ovide.

Manette n’adressa qu’un regard et qu’un mouvement d’épaules au mulâtre ; ils s’étaient compris.

Ovide avait, comme tous les habitants des colonies, l’œil marin. Il avait prévu juste le retard qu’éprouverait la corvette à gagner son mouillage. Une grande heure se passa avant qu’elle pût doubler la Pointe-des-Nègres pour entrer dans la baie et tirer une bordée sur l’Ilet-à-Ramiers. Ses voiles, à peine enflées au vent, battaient le long des mâts ; enfin, il était environ huit heures du soir, lorsque, grâce à quelques brises pour ainsi dire égarées dans l’immensité de la rade, le bâtiment put jeter l’ancre à la hauteur de Bellevue.

Vauclair, debout sur la dunette de la corvette, contempla d’abord avec une émotion toute poétique l’imposant