Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/198

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des nuits et des jours ; ingrats par instinct, prêts à la vengeance, au lendemain même d’un bienfait. Là encore c’était l’exception.

Je ne veux pas qu’on me puisse reprocher d’être tombé dans les mêmes exagérations coupables. Aussi m’empressé-je de consigner ici qu’aux lugubres drames dont fourmillent les chroniques de l’esclavage, il y a, Dieu merci ! des compensations.

La sanglante révolution de Saint-Domingue qui se dénoua par le massacre des blancs a fourni elle-même d’éclatants exemples de dévouement, de fidélité, de sacrifices personnels de la part des esclaves. Beaucoup d’entre eux ont risqué héroïquement leur vie, et se sont condamnés à passer pour traîtres aux yeux de leurs complices, afin d’arracher leurs maîtres à la mort.

Entre autres épisodes qui se rapportent à cette lugubre épopée, je citerai celui d’une négresse qui déroba sous ses jupes un jeune enfant de huit ans qu’elle avait allaité : tout ce qui restait d’une famille entière massacrée dans la ville des Cayes, Elle garda l’enfant ainsi caché jusqu’à ce que le dernier bourreau fût sorti de la maison ; puis, tout d’une course, elle l’emporta sur l’habitation de son ancien maître, le présenta à l’atelier comme le fils de son bienfaiteur, et le mit sous la sauvegarde des esclaves révoltés.

Armés de coutelas et de fusils, enivrés par le sang déjà répandu à profusion, à la lueur sinistre de l’incendie qui dévorait l’habitation, les nègres refusèrent toute grâce à l’enfant. Ils se disposaient à lui faire payer cher la couleur de sa peau, lorsque la nourrice, sous l’effort d’un courage héroïque, saisit un coutelas, défendit le jeune blanc comme une lionne défend son petit, mais non pas sans avoir reçu plusieurs blessures.

Étonnés de tant de bravoure et de tant d’énergie,