Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/207

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— Que veux-tu dire, Jean ?

— Demain, Mam’zelle, on doit venir sur l’habitation saisir, n’est-ce pas ? Les ateliers des deux habitations le savent, et ils ne veulent pas qu’on fasse ni peine ni mal à Monsieur. Vous savez que Jambon est parti depuis ce matin ; vous l’avez cru marron ? Eh bien, il était allé au bourg pour s’informer combien il fallait d’argent à Monsieur pour payer. Il est revenu ce soir, il nous a dit la somme : c’est-à-dire cent doublons (8,640 fr.) et cette somme, Mam’zelle, je vous l’apporte au nom des ateliers de notre maître ; la voilà en doublons d’Espagne, dans ce sac.

Églée poussa un cri qui fit ouvrir aussitôt toutes les portes de l’intérieur de la maison ; de tous côtés on vit accourir des visages inquiets. Jean voulait profiter de ce tumulte pour s’enfuir ; mais les deux mains d’Églée s’étaient cramponnées aux poignets du nègre, et retenaient le commandeur avec une force contre laquelle celui-ci n’osait pas lutter, de peur de briser ces beaux doigts blancs qui lui enfonçaient leurs ongles aigus dans les chairs.

— Qu’y a-t-il donc ? s’était écrié M. V… en accourant vers sa fille.

— Il y a… il y a… essaya de balbutier Églée ; puis, sans pouvoir ajouter un mot de plus, elle tomba évanouie entre les bras de ses deux sœurs.

— Voyons, Jean, vas-tu m’expliquer…

— C’est tout simple, maître ; j’ai été chargé d’apporter ceci à Mam’zelle pour vous le remettre ; Mam’zelle a été si contente que la joie l’a étouffée. Voilà tout.

— Ces doublons-là ?… murmura M. V… ; où les as-tu pris, où les as-tu trouvés ?

— Nous les avons trouvés, répondit Jean, dans les jardins que vous nous avez donnés, dans les nids des poules et des pintades que nous élevons autour de nos cases… Nous-vous les prêtons, maître ; vous nous les rendrez