Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/206

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Pendant ce temps la jeune négresse s’était glissée furtivement et sans bruit jusqu’à la chambre de l’aînée des filles de M. V… Apercevant à travers les fentes de la porte un filet de lumière, Rosillette ne prit pas même la peine de frapper, et entra. Elle trouva sa maîtresse à genoux devant son lit, la tête plongée dans ses deux mains, et priant avec une telle ferveur que l’arrivée même de la négresse ne la troubla pas. Rosillette s’avança vers la jeune fille, et lui tirant le bas de sa robe pour la réveiller de sa prière :

— Mam’zelle Églée, lui dit-elle, venez vite, le commandeur de l’habitation est en bas, qui demande à vous parler tout de suite.

À ce mot de commandeur, Églée pâlit.

— Oh ! mon Dieu ! s’écria-t-elle, est-il encore arrivé quelque malheur ? il faut prévenir mon père.

— Non pas, riposta vivement Rosillette ; c’est à mam’zelle toute seule que papa Jean veut parler.

Églée se rendit en tremblant dans la galerie où se trouvait le commandeur.

— Qu’y a-t-il, Jean ? s’écria-t-elle. Et avant que le commandeur, plus ému que sa jeune maîtresse, eût pu trouver la force de prononcer un mot, Églée reprit ; Quelque empoisonnement, n’est-ce pas ? peut-être des marronnages ? N’est-il pas déjà disparu un nègre depuis ce matin ? Ah ! un malheur ne vient jamais sans l’autre.

Papa Jean profita de ce que Églée, suffoquée par les sanglots, ne pouvait plus parler, pour prendra la parole.

Petite mam’zelle, dit-il, c’est vrai que souvent un malheur suit un malheur ; mais quelquefois aussi un malheur est suivi d’un bonheur.

Églée dressa la tête et écouta.

— Oui, Mam’zelle, c’est comme cela quand un maître a de bons esclaves.