Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/249

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sérieusement la sauver du scandale que provoquerait toute autre ligne de conduite.

C’est ainsi que Joséfa avait été amenée à se faire la messagère complaisante de la marquise Antonia Daguilla auprès d’André de Laverdant, et à prêter son estancia (petite habitation), qu’elle tenait de la munificence de sa maîtresse, pour leur première entrevue. Le lecteur voudra bien comprendre que nous dépeignons ici des mœurs exceptionnelles, et que nous devons étudier la société coloniale sous toutes ses faces. Et d’ailleurs, je me hâte de le dire, la marquise Daguilla n’avait d’autre but et d’autre arrière-pensée, du moins ne se l’avouait-elle pas, que d’accueillir en secret un homme à qui la jalousie excessive du marquis ne lui permettait pas d’ouvrir les salons du riche hôtel de la caïa de l’Obispo. Elle ne péchait encore que par curiosité.

La marquise Daguilla, en effet, vivait en recluse à la Havane : promenades, bals à la Filarmonica, concerts, spectacles, tout lui était refusé ; et, pour le monde si brillant de la Havane, Antonia était une perle perdue, enfouie dans le luxe splendide d’un hôtel dont les portes de marbre ne s’étaient jamais ouvertes devant un homme.

Les maris, à la Havane, sont également sujets à ces deux extrêmes : ils accordent à leurs femmes une liberté excessive ou les condamnent, au nom de la jalousie, aux rigueurs de la solitude.

Joséfa laissa André dans la pièce où nous les avons vus tout à l’heure, et entra dans un appartement voisin ; par la porte, une vive lumière s’échappa. C’était une sorte de salon proprement, mais modestement meublé. On s’apercevait cependant qu’il avait été décoré à la hâte et évidemment pour la circonstance. Une belle natte de jonc fin couvrait le plancher, et dans le milieu était suspendu un