Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/286

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demi-heure le cheval, sans cavalier, et dans l’état où il était, galopait par les rues de la ville ; mais personne ne sut dire d’où il venait.

En même temps, les crieurs de la ville annonçaient l’évasion de l’esclave Tobine, mulâtresse de dix-sept ans, appartenant à Son Excellence le marquis Daguilla, et disparue de la maison de son maître depuis deux jours. On promettait une récompense de cinquante piastres à qui la ramènerait ou dénoncerait son refuge.

Les crieurs et les hennissements du cheval d’André passèrent au même instant sous les fenêtres de l’hôtel Daguilla ; et ce double écho du crime de la nuit y pénétra par la porte béante pour frapper en même temps l’oreille de la marquise et celle du marquis debout, en ce moment, à côté du lit de sa femme.

M. Daguilla pâlit, et Antonia, se dressant, blanche comme une morte, sur son coude, dit à son mari :

— Mais Tobine était ici hier au soir, Monsieur, je l’ai vue, je lui ai parlé…

— Mais elle n’y était pas avant-hier, Madame, répondit le marquis ; et si elle n’est point dans la maison à cette heure, c’est qu’elle sera allée porter de votre part un message tardif ou un baiser d’adieu au cadavre de cet homme.

Antonia retomba sur son lit en versant des larmes.

Pendant que tout cela se passait en ville, les nègres des environs de la Magnificencia, voyant la grille ouverte de si grand matin, et le terrain labouré par les pieds des chevaux, s’étonnèrent un peu, mais n’y prirent pas trop garde d’abord. Puis quelques autres, plus curieux, franchirent timidement la grille pour cueillir quelques fleurs, s’enfuyant aussitôt. Une petite négresse de sept ou huit ans, hardie comme on l’est à son âge, pénétra plus avant, et revint en courant, disant qu’elle avait vu du sang dans les allées du jardin.