Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/65

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mac. Depuis un mois qu’elle était de retour à la Martinique, sa nature créole était revenue au galop. Elle se fit un oreiller de son beau bras chargé de bracelets, et y appuya sa joue.

— Maintenant, continua-t-elle en enveloppant Firmin de ses regards, maintenant vous allez me raconter à quelle cause il faut que j’attribue votre retard.

S’il n’avait dû obéir qu’au premier mouvement de sa conscience, Firmin eût raconté franchement à madame de Mortagne son aventure de la veille ; mais deux motifs retinrent aux bords de ses lèvres l’aveu prêt à s’en échapper : d’abord, la pensée de commettre un crime odieux de lèse-galanterie, en confessant en face à une femme charmante qu’il ne l’aimait plus, à une grande dame qu’il la sacrifiait, à qui ? à la fille d’un pauvre économe d’habitation, moins que cela, à une fille de couleur !

La seconde raison, c’est qu’en fait, Firmin n’était venu à la Calebasse que pour y chercher l’oubli de cette passion insensée. Or, il avait à portée du regard les épaules de satin et les bras de marbre sur lesquels il comptait comme remède souverain. Il fut bien forcé de recourir à la dissimulation dont il avait une si profonde horreur : tout en rougissant légèrement, il répondit d’une voix mal assurée à la question de madame de Mortagne.

Il raconta sa lutte contre les flots de la rivière Sainte-Marie, son naufrage devant la Basse-Pointe, la mort des six nègres, la difficulté de trouver un cheval.

— Et, dit-il pour finir, je cours depuis ce matin à toute bride. Le triste état dans lequel se trouve ma pauvre monture en peut faire foi.

— Je m’en rapporte plus à vous qu’à votre cheval, fit madame de Mortagne en souriant ; je n’irai point vérifier s’il est fourbu.