Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/70

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ses lèvres à la coupe d’un poison enivrant ; il lui fallut vider la coupe tout entière. Firmin s’étant aperçu que madame de Mortagne était tout à fait oubliée et impuissante à arrêter l’envahissement de son cœur par l’amour de Madeleine, il chercha des distractions dans le jeu et dans tous les faciles plaisirs de la vie coloniale ; inutiles efforts. Bientôt ce ne fut plus seulement son âme qui était malade et brisée ; mais son corps lui-même. Après une nuit de délire et d’hallucinations, Firmin se réveilla calme et résolu.

— Il faut que je revoie Madeleine, se dit-il, ou que je meure ! Mon projet est fou, insensé, absurde, qu’importe ! pourvu que je la revoie, rien ne me doit coûter.

Il écrivit une lettre, s’habilla des vêtements les plus grossiers qu’il put trouver dans la garde-robe de l’économe de son habitation, paysan picard arrivé depuis un an dans la colonie ; pour comble, je n’oserais l’écrire en vérité, si j’étais seulement romancier, et si je ne racontais ici une aventure parfaitement historique, pour comble, dis-je, il se colla aux joues des favoris postiches et à la lèvre des moustaches d’emprunt.

Ainsi déguisé, il plaça la lettre dans la poche de sa veste de drap grossier, la lettre qu’il venait d’écrire, enfourcha un cheval et se mit en route pour la Basse-Pointe. Il s’arrangea pour arriver au bourg à la nuit tombante, logea son cheval dans la première écurie qu’il rencontra ; et se dirigea, en remontant la savane que nous connaissons, vers la case de Jérémie.

En approchant de ce toit qui lui avait été si hospitalier, où il avait rencontré les germes du plus complet de ses bonheurs et aussi de son malheur le plus grand, Firmin se sentit vivement ému.

Comme cela arrive quelquefois aux Antilles, même après les journées du soleil le plus lourd, la soirée était