Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/77

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guisement ? Voir Madeleine, avait-il dit. Il venait de la voir, et déjà il n’était plus satisfait : son cœur avide demandait davantage. Tenterait-il de se faire aimer sous l’enveloppe grossière d’un paysan ? Quel profit en tirerait-il ? Le lendemain le gentilhomme créole reprendrait la place du manant. Séduite par Firmin ou par le faux Claudien, Madeleine n’en serait pas moins déshonorée, et le mal n’en serait pas plus réparable.

Firmin fut sur le point de renoncer à son projet, et de profiter de l’absence de Jérémie pour s’enfuir, emportant pour consolation souveraine les dix minutes de joie qu’il venait d’éprouver. Mais il se raccrocha tout à coup à une branche non moins fragile que toutes les autres.

— Il manque à mon bonheur une chose, se dit-il, de savoir si Madeleine m’aime, si elle a gardé pour son sauveur un souvenir de reconnaissance. Il n’y a que Claudien qui puisse le savoir ; demeurons Claudien, et je jouerai bien de malheur si je ne trouve pas une occasion d’enfreindre les recommandations de maître Jérémie.

Firmin en était là de ses réflexions et de ses projets stratégiques, lorsqu’un petit négrillon entra, portant le souper auquel M. de Lansac fit honneur comme un manant. Après quoi l’économe vint, à son tour, l’épaule chargée d’un matelas qu’il allongea sur des chaises rapprochées, et souhaita le bonsoir à son hôte Claudien.

Firmin n’en eut pas le démenti ; il défit le lit, échafaudé avec tant de soins par Jérémie, de manière à placer sa tête à la chaise qu’il avait marquée, et il s’endormit jusqu’au lendemain matin.

Il fut éveillé au point du jour, comme il l’avait été la première fois par le fouet du commandeur et les sons du lambic.

Comme la première fois aussi, il trouva l’économe sur pied.