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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

sait participer au monde des morts qui habitaient les rives du Styx, le fruit sauvage de Guingamor le rattache au monde des vivants qui habitent les champs cultivés. Les exemples d’illusions analogues à celle de Guingamor se méprenant sur le cours du temps, se remarquent dans les contes et les légendes de tout pays. Il y a quelque chose de semblable dans le récit anglais du ménestrel enlevé par Titania, et le joli conte japonais de la Fourmilière nous montre l’illusion inverse du dormeur qui croit avoir vécu nombre d’années en quelques secondes, alors que son âme se promène dans une fourmilière sur laquelle il s’est endormi. Ainsi l’imagination populaire envisage le problème du temps, si ardu à résoudre pour les philosophes.

Guingamor disparu depuis trois cents ans serait encore plus dépaysé que la Belle au Bois dormant, après son siècle de sommeil.

Quant à Tidorel, il est fils d’une reine qui se laissa enlever d’un beau verger, où elle se délassait avec ses damoiselles, par un personnage mystérieux que l’on peut appeler le Chevalier du Lac. Quel est ce personnage ? Fait-il pendant à la Dame du Lac qui n’est autre que la fée Viviane ? Est-ce un chevalier-fée, un descendant des anciens fati masculins ? La reine revient dans son royaume, et près de son royal époux qui, ne sachant rien de l’aventure, croit sien le fils de la reine, Tydorel. Cependant, Tydorel ne se laisse jamais aller au sommeil, et un dicton populaire affirme que celui qui ne dort pas n’est point fils d’un homme :

Par vérité que n’est pas d’om
Qui ne dort ni ne prend somme